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Y a-t-il un espace, dans l'Internet, pour les langues et les cultures non-américaines ?

Le cas du monde latin



Le 5 octobre 1998.
Daniel Pimienta (<[email protected]>)
Président de la Fundación Redes y Desarrollo, FUNREDES (http://funredes.org/francais)


Une première version de ce texte a été présentée à la Conférence INFO-ETHIQUE de l'Unesco, à Monte Carlo, du 1 au 3 octobre 1998. Cette version présente les résultats finaux d'une étude conjointe pour la mesure des langues et cultures latines, de:

Cette étude est consultable aujourd'hui, en français, à http://funredes.org/LC. Quand sa présentation sera achevée, elle sera consultable en français sur le site de l'Agence de la Francophonie, dans les autres langues latines, dans le site de l'Union Latine, et en anglais dans le site de Funredes.

Les opinions émises dans cet article n'engagent ni l'Agence de la Francophonie ni l'Union Latine.


Introduction

La francophonie, l'hispanité et les autres communautés relevant des langues latines (italien, portugais et roumain) recouvrent un nombre important de personnes puisqu'elles ont, ensemble, un poids supérieur à celui de l'anglais (785 contre 630 millions).

Tableau 1: Chiffres comptabilisant les populations des pays où la langue est officielle ou d'enseignement qui peuvent réellement communiquer dans cette langue et les populations de langue maternelle habitant un pays où la langue n'est ni officielle ni d'enseignement.

Anglais

Espagnol

Portugais

Français

Italien

Roumain

Présence absolue (nombre de locuteurs)

630

375

190

130

60

30

Présence relative (pourcentage mondial)

10,50%

6,25%

3,17%

2,17%

1%

0,50%

(source: Union Latine)

Quelle va être la place des langues et cultures "non américaines" dans le nouveau scénario que dessinent rapidement les Nouvelles Technologies de l'Information et Communication (NTIC)?

Quelle sera le la situation des langues latines tels le français, l'espagnol ou le portugais qui ont réussi à diffuser en dehors de leurs espaces géographiques originels? Quel sera le cas des cultures associées aux langues latines qui ont, jusqu'à aujourd'hui, maintenu une influence historique remarquable dans les arts, les lettres et la science, pour ne citer que quelques secteurs de l'activité humaine?

Restera-t-il un espace? Ou bien la partie est-elle déjà jouée et pouvons-nous seulement établir un diagnostic de défaite? Finalement, que se passera-t-il dans une décennie ou deux, quand les changements de la globalisation économique auront affecté tous les secteurs de l'activité humaine dans tous les recoins de la planète?

Le secteur des NTIC est à la fois un des éléments majeurs de la transformation de nos sociétés et un microcosme où les effets de la globalisation sont les premiers perceptibles et analysables.

Un premier élément de réponse est de constater la présence de ces langues et cultures au sein de l'Internet, dans les pages web ou dans l'espace des groupes de discussion.


Le contexte historique

Les acteurs du développement des NTIC ont vu en quelques années leur domaine d'activité sortir du cercle des initiés et devenir à la fois un sujet médiatique et un terrain d'expansion des médias. Durant la même période (1995 - 1998) le média Internet s'est transformé rapidement en outil privilégié de la globalisation économique et a vu réduire l'importance numérique et le poids politique de ceux1 qui avait créé cette dernière utopie du siècle2. Cette confrontation de cultures très distinctes ne va pas sans provoquer d'épineuses questions d'éthique3 et elle sous-tend une vision de l'avenir de la planète oscillant entre l'explosion et le métissage des cultures nationales et une monoculture normative sur le modèle nord-américain.

À lire la presse, à observer ou écouter les autres médias, il semble que l'histoire de l'Internet soit exclusivement nord-américaine, puisque la technologie est née au Département de la Défense des Etats-Unis et qu'elle s'est développée dans ce pays.

Il s'agit d'une vision partiale4 de l'histoire de l'Internet, et le fait qu'elle soit reprise par la grande majorité des médias dans tous les pays ne la transforme pas pour autant en vérité absolue. En effet, s'il est vrai que "Internet" est le nom d'un protocole de communication (TCP-IP) qui a été conçu aux Etats-Unis (pendant que d'autres protocoles étaient conçus en France ou en Angleterre), "l'Internet" représente l'ensemble des réseaux interconnectés indépendamment de leur protocole et son histoire est planétaire. Il y a là l'occasion d'une confusion facile (et courante) entre le réseau, constitué de services et d'utilisateurs, et le protocole d'un réseau, ensemble de règles établies pour automatiser les services. L'histoire des réseaux s'est écrite par le biais de la coopération de non techniciens5 qui ont apporté des éléments culturels bien plus déterminants que la nature de tel ou tel protocole6. La culture émergente des réseaux de la recherche a été le produit des actions d'hommes et de femmes de tous les continents, du Nord comme du Sud, de langues et de cultures diverses et attachés au respect mutuel de ces langues et cultures.

Du protocole TCP-IP, il faut noter la limitation historique d'un courrier électronique sans accents, qui a représenté un problème sérieux pour l'usage de langues avec des signes diacritiques et qui a finalement été résolu avec la capacité d'envoyer des fichiers

multimédias7. Il faut également noter la capacité d'adaptation rapide de l'architecture TCP-IP aux besoins; résultat beaucoup plus des procédures démocratiques et transparentes de la Société Internet que d'une propriété du protocole8. Cette propriété remarquable de l'Internet nous semble clairement appartenir au champ "sociologique" (et donc international) et non pas au champ technologique (nord-américain de naissance).

Il est bon de savoir que les médias traditionnels ont une tendance marquée à préférer les "histoires officielles" qui favorisent et simplifient une des visions des réalités. En général, l'angle de projection choisi n'est pas neutre; dans le cas des réseaux télématiques, la vision favorisée a été celle des technologues au détriment des sociologues; mais aussi celle d'une vision centrée sur les Etats-Unis au détriment d'une vision pluraliste et décentralisée, qui est pourtant l'essence de la culture des réseaux.

Quoi qu'il en soit, l'un des éléments clefs de l'histoire de l'Internet a été la naissance, en Europe, du protocole qui soutient le www9 lequel a permis d'offrir une structure standard d'accès aux informations de l'Internet et un moyen relativement simple pour organiser et offrir en accès mondial les informations. Ironie très signifiante: la bataille fait rage10 entre deux entreprises américaines (Microsoft et Netscape) pour le marché des logiciels capables de visualiser les informations de l'Internet pendant que l'inventeur11 a discrètement fondé un organisme à but non lucratif12 pour défendre l'intégrité du standard contre les assauts des constructeurs de logiciels qui sont prêts à anticiper son évolution de manière à prendre un avantage stratégique.


Mondialisation et NTIC

Le fait que les NTIC sont un instrument privilégié pour accompagner la mondialisation économique est une évidence: il suffit d'en faire usage pour comprendre leur pouvoir (pouvoir pédagogique des multimédias, pouvoir de communication, pouvoir d'information, pouvoir de modifier les frontières du temps et de l'espace, pouvoir d'échapper aux intermédiaires dans la transaction commerciale, etc.). L'impact social de ces technologies peut être énorme (probablement positif pour la démocratisation de l'éducation et sans doute plus délicat pour l'emploi). Cette évidence ne doit pas faire perdre de vue une autre évidence, même si les propositions peuvent parfois rentrer en contradiction; les NTIC sont un outil exceptionnel pour renforcer le pouvoir de la société civile et ouvrir des espaces nouveaux de conquêtes démocratiques, par la transparence qui s'impose peu à peu aux pouvoirs élus et par les possibilités de participation du citoyen à la conduite des affaires.

Nous sommes entrés dans une révolution comparable à celle de l'invention de l'imprimerie: le monde ne va plus être tout à fait le même. Se lamenter (des effets nocifs), exprimer la nostalgie (par exemple de la plume et du papier), rejeter (l'écran comme outil d'expression) sont des attitudes normales des être humains face à des changements très rapides qui affectent leur environnement. Cependant, penser que la force de l'intelligence critique sera suffisante pour freiner ou combattre, de l'extérieur, ce mouvement en marche est une illusion et une mauvaise stratégie. Les pages futures de l'histoire (devrions-nous dire les écrans?) ne sont pas encore écrites (devrions-nous dire médiatisées?): la partie vient seulement de commencer et il y l'espace pour que les forces s'expriment, dans l'action.

L'Internet et les NTIC en général représentent un champ ouvert de risques et de possibilités, en particulier pour les partisans du pluralisme culturel et linguistique. Ce n'est pas un champ propice aux contemplatifs: c'est un champ d'action. Et le futur proche de notre monde, quant aux aspects qui nous préoccupent pourrait se décider dans le sein de ce monde virtuel avant de s'imposer au reste du monde: c'est pour cela que toutes les forces doivent s'emparer de ce champ d'action et défendre leurs positions. Une description très schématisée suit des deux extrêmes du champ des possibilités; les positions sont volontairement poussées à l'extrême pour bien montrer les risques et les possibilités.


Les risques

La centralisation et la non-interactivité : vers une mondialisation au singulier et passive. Une menace pour les langues et les cultures.

Une lecture des tendances sur le marché de l'information démontre clairement le risque de la centralisation du pouvoir dans un nombre réduit d'acteurs: fusion et concentration des grandes entreprises des médias, des télécommunications et de l'informatique sont la règles dans la lutte intense pour les marchés globaux. Le contrôle de la production de l'information est un défi, dans le marché des sites web et des multimédias interactifs; la taille des investissements à consentir pourrait être un facteur déterminant, hors de portée des groupes de la société civile. Dans cette perspective, la vision consumériste s'impose avec les règles de plus en plus inflexibles de l'économie libérale triomphante, et transforment l'être humain en consommateur passif des produits banalisés par les grands monopoles globaux. La seule interactivité est macro: les consommateurs sont sondés avec fréquence pour connaître la réaction du groupe au produit et ainsi retravailler les campagnes de marketing qui s'adresse à l'imaginaire collectif. A l'échelle individuelle, il est seulement attendu du consommateur ... qu'il paye sa facture et tous les efforts sont faits pour la rendre administrativement légère et pour apporter plus de sécurité aux modes de paiement électroniques.

Dans ce scénario, l'espace des langues et cultures minoritaires sera de plus en plus réduit et le diagnostic à long terme est critique. Le français, l'espagnol, le portugais (comme l'arabe ou le chinois) qui ont des marchés plus étendus pourront mieux résister que d'autres langues qui ne représentent pas une masse critique de consommateurs (comme le danois ou le hongrois par exemple). De toute façon, le risque est grand, étant donné la logique des marchés, que les langues minoritaires soient contraintes dans des formats dictés par d'autres langues et d'autres cultures.

Les industries du cinéma et de la télévision nous donnent une idée de ce qui est pourrait arriver dans les industries de l'information.. L'exception culturelle est-elle l'ultime défense face à la règle des marchés où la nature des produits importe peu? La culture et le marché: un mariage peu heureux, une épouse sous la dominance de son macho!


Les possibilités

La décentralisation et l'interactivité vers une mondialisation plurielle et participative. Une espace créatif pour les langues et les cultures

Pourquoi les NTIC ne seraient-elles pas, comme l'ont été, globalement, la télé et la radio, une autre technologie à consommer? En quoi les NTIC offrent-elles des propriétés susceptibles de donner du pouvoir aux communautés d'utilisateurs? Pourquoi le manquement aux promesses initiales des technologies audiovisuelles13 ne serait-il pas, une nouvelle fois, ce qui nous attend au tournant du siècle avec les NTIC? A la différence des médias existant (presse et télévision), les NTIC offrent de réelles possibilités de décentralisation et interactivité, réelles sur le plan technologiques mais surtout, et c'est là la différence fondamentale avec les autres médias, sur le plan économique14. Les progrès en terme de ratio prix/service de la technologie informatique continuent. Cette technologie est chaque jour plus à la portée des citoyens en ce qui concerne l'accès, mais plus important encore, la production d'information est à leur portée. Cela représente un élément majeur qui pourrait changer les schémas habituels de la relation information-pouvoir.

D'autres espaces vont s'ouvrir, avec la traduction automatique associée aux réseaux pour des communautés virtuelles actives au delà des frontières linguistiques et culturelles.

Nous entrons dans une ère chaotique où l'action de petits groupes est susceptible d'avoir autant ou plus d'impact que celle des groupes puissants traditionnels. L'utilisateur moderne des technologies de l'information est trop bien informé pour accepter d'être traité en consommateur passif; il veut être à la fois spectateur ET acteur, consommateur ET producteur.

Le terme chaos ne doit pas être pris ici dans son sens de désordre destructif mais plutôt de désordre créatif et de situation où des actions minuscules peuvent avoir des impacts gigantesques. Dans cette perspective, nous assisterions à une explosion de possibilités créatives où la puissance des moyens n'est plus un atout essentiel, d'autant plus qu'elle est souvent accompagnée par une inertie administrative et un manque de souplesse qui représentent un handicap au moment où l'espace des possibilités se modifie à grande vitesse. Les groupes puissants sont doués pour créer les patrons de consommation et amener le marché vers leur produit. Les micro-acteurs économiques auront en revanche une plus grande rapidité pour s'emparer des nouvelles niches qui vont apparaître et disparaître à très grande vitesse. Dans ce magma d'opportunités en ébullition tout est possible y compris la victoire des David contre les Goliath de l'économie.


Plaidoyer pour la participation et l'action

Chacun décidera selon ses paramètres et son optimisme si les défis sont plus grands que les possibilités. Mais que l'on opte pour le pessimisme ou pour l'optimisme la seule voie possible est celle de l'action. Les mots-clefs de ce nouveau paradigme sont participation et action (la tentation est grande de fabriquer un néologisme en contractant les deux mots: participaction!). En fait, l'important est de se transformer de spectateur en acteur et de participer au destin de notre futur culturel et linguistique avec les moyens que la technologie met à notre portée. Si nous n'entrons pas dans le jeu d'autres décideront de notre futur.


État des lieux et tendances

En mars 1995, l'ONG Funredes, en réaction à des déclarations intempestives contre l'Internet, émises lors du sommet de la francophonie de Cotonou, décidait d'apporter une contribution à la mesure de la présence respective des langues et des cultures dans l'Internet. L'accusation portée était que la présence de la langue anglaise dépassait les 95% dans l'espace web. En l'absence de chiffre sérieux, Funredes décidait de construire une première approximation en utilisant la puissance des outils de recherche de la Toile, comme AltaVista (de la corporation Digital). Funredes, pour la partie langue, établissait un échantillon de quelques dizaines de mots en anglais, français et espagnol et mesurait le nombre d'apparition de chacune des formes linguistiques dans l'espace web15. Le travail était fait rapidement, sans prétention de rigueur, seulement pour établir un ordre de grandeur approximatif. De la même manière, Funredes proposait, pour établir si l'Internet favorisait la culture nord-américaine, de mesurer pour plusieurs catégories préétablies, le nombre de citations de personnages représentatifs des cultures américaines ou francophones. Le travail qui a été publié en anglais dans la revue Matrix News est accessible sur l'Internet en français, espagnol ou anglais à: http://funredes.org/LC.

Les résultats de la première étude furent les suivants:

  1. Sur le plan linguistique, il est possible d'estimer grossièrement que entre 60% et 80% des ressources "Internet" sur le Web sont en anglais, et entre 3% et 4% en français. Le français a une présence plus de 2 fois supérieure à celle de l'espagnol.
  2. Sur le plan culturel, là ou culture et marché sont le plus indépendants il n'apparaît pas qu'il y ait de préférence culturelle marquée sur l'Internet. En revanche là où culture et marché sont totalement interdépendants et où la langue intervient (comme dans la chanson et le cinéma), la célébrité des produits nord-américains est d'un ordre de grandeur supérieur à celle des latins.

L'étude fut répétée, avec la même méthodologie simplifiée, en 1996 et en 1997 et montrait une progression du français et de l'espagnol par rapport à l'anglais et également une progression de l'espagnol par rapport au français.

En 1998, l'Agence de la Francophonie (ACCT) et l'Union Latine apportaient leur soutien à cette recherche. Cela permit d'établir une méthodologie rigoureuse pour la mesure des langues, en partant d'une sélection de mots contrôlés par des linguistes pour établir les comparaisons. L'étude s'étendit à l'ensemble des langues latines et les premiers résultats intermédiaires, qui furent présentés par l'ACCT à l'occasion de la réunion INET98 à Genève, sont consultables à: http://funredes.org/langues.

Synthèse des résultats

L'étude a montré les résultats suivants pour la présence des langues dans la Toile:

Légende

          Moyenne                          +

          Intervalle à 90%16              ......

          Intervalle à 99%          ----......----

% PAR RAPPORT À L'ANGLAIS
  0....x....1....x....2....x....3....x....4....x....5
ESPAGNOL                             ----......+......----
FRANÇAIS                                 --....+...--
ITALIEN               --....+....--
PORTUGAIS         -..+..-
ROUMAIN  -+-

En ce qui concerne l'espace USENET (groupes de discussion), nous avons obtenu les résultats suivants:

% PAR RAPPORT À L'ANGLAIS
  0....x....1....x....2....x....3....x....4....x....5
ESPAGNOL                     ---.....+.....---
FRANÇAIS           -...+...--
ITALIEN                  ---.....+.....----
PORTUGAIS ---........+.........-----
ROUMAIN -+.-

Il est possible, en prenant des hypothèses (crédibles mais approximatives) pour la présence de l'anglais, d'obtenir des résultats absolus et pondérés:

Dans l'espace WWW

Présence WWW

Absolue

Présence WWW pondérée

ANGLAIS

75,00%

7,14

ESPAGNOL

2,53%

0,40

FRANÇAIS

2,81%

1,30

ITALIEN

1,50%

1,50

PORTUGAIS

0,82%

0,26

ROUMAIN

0,15%

0,30


Dans l'espace Usenet

Présence Usenet

absolue

Présence Usenet

pondérée

ANGLAIS

80,00%

7,62

ESPAGNOL

1,93%

0,31

FRANÇAIS

1,15%

0,53

ITALIEN

2,03%

2,03

PORTUGAIS

0,90%

0,28

ROUMAIN

0,11%

0,23


La pondération consiste à diviser le pourcentage de présence de la langue dans l'Internet par le pourcentage de personnes parlant cette langue au niveau planétaire. Un chiffre supérieur à 1 est une bonne performance. Il faut donc noter l'excellente performance de l'italien, la performance honorable du français dans l'espace www mais en revanche très faible dans l'espace Usenet.

Les tendances observées avec régularité, depuis 1996, sont à l'augmentation relative du français et de l'espagnol par rapport à l'anglais et à un progression plus rapide de l'espagnol par rapport au français17.

En ce qui concerne la partie culturelle de l'étude, la progression depuis 1995 montre un relatif progrès des personnages témoins des cultures latines par rapport aux personnages représentatifs de la culture des Etats-Unis (11.25%).

Pour le reste, il apparait toujours que dans les disciplines où culture et commerce ne sont pas trop confondus les cultures latines sont bien representées:

En revanche, dans les disciplines liées aux commerce (cinéma et chanson) où à la politique la domination des personnages des Etats-Unis est écrasante.

Cela nous permet de reprendre ici nos conclusions de 1995:

L'espace relatif de l'anglais va en diminuant dans la mesure que les autres cultures et langues s'investissent dans la production de leur patrimoine d'information sur l'Internet. Le multi-linguisme semble être la voie adéquate... et dans ce cadre l'anglais conservera évidement un avantage de deuxième langue véhiculaire. Pour ceux qui travaillent au sein des réseaux depuis longtemps, le doute n'existe pas sur une nette tendance à la représentation équitable des langues et des cultures.

Pour nous, le vrai débat est ailleurs. L'Internet va-t-il devenir le marché virtuel du temple? Ou bien restera-t-il encore le temple des chercheurs ou le dieu information est partagé en toute liberté?

Le vrai débat culturel est celui de savoir si la culture du mercantilisme va en finir avec la néo-culture planétaire que les réseaux de la recherche avaient su créer et qui est caractérisée par:


Quelle stratégie adopter ?

L'identité culturelle de chaque groupe doit-elle être protégée de l'invasion de l'influence étrangère qui provient de l'Internet?

Cela ne peut être qu'une réponse à très courte terme. Les identités culturelles méritent d'être globalement exposées sur l'Internet pour obtenir une influence mutuelle et un métissage. La seule politique qui peut donner une chance à la masse variée des acteurs de poids léger face au nombre limité de poids lourds est de donner le pouvoir aux utilisateurs. Si les utilisateurs s'approprient de la technologie ils deviennent des acteurs du nouveau paradigme et sont en situation de projeter leurs valeurs individuelles, de groupes et collectives.

Les excès de la globalisation économique peuvent représenter une menace évidente pour les identités culturelles. Les différences marginales de capacité de vente globale entre les régions montrent la structure des forces et les mouvements de la domination culturelle à l'instar des hautes et basses pressions montrant l'axe et la force des déplacements d'air sur une carte météorologique. Dans les temps plus anciens, les influences culturelles résultaient de l'occupation (pacifique ou pas) des terres, des schémas de migrations et du commerce frontalier; chaque situation permettant une forme d'échanges culturels mutuels, même déséquilibrés, entre dominateur et dominé. Maintenant les économies du commerce global jouent un rôle essentiel dans l'émergence d'une nouvelle culture globale où l'être humain est réduit à son aspect de consommateur de biens et de services. Le marketing moderne ne permet plus l'échange culturel et impose des modèles globaux de consommation issus des cultures dominantes sur le plan de l'économie globale.

Certains veulent percevoir cette standardisation des comportements de consommation comme le terme d'une évolution positive où la normalisation des comportements permettra de transformer une histoire de luttes et de guerres vers une nouvelle dimension moins violente: celle de la compétition industrielle.

D'autres se référent au théorème de Ashby sur la variété requise par un système complexe pour pouvoir se maintenir et nous avertissent qu'une réduction radicale de la variété des comportements et paramètres culturels pourrait, au contraire, représenter la menace absolue pour le futur de l'humanité, particulièrement au moment où les changements sont rapides et la capacité d'adaptation est fondamentale. De plus, la compétition économique globale est propre à creuser l'écart entre les possédants (richesse mais aussi travail!) et les autres, créant les conditions pour les formes traditionnelles de conflits violents.

Les réseaux en général et l'Internet en particulier qui ont précédé et qui accompagnent le changement de paradigme, en maintenant encore aujourd'hui une croissance exponentielle pour devenir un phénomène de masse, représentent un modèle à observer pour tirer des enseignements sur cette situation et en même temps annoncent les évolutions à prévoir dans le monde non virtuel.

Pendant la première phase des réseaux (entre les années 70s et le début des 90s), quand les réseaux étaient un domaine réservé aux chercheurs et acteurs du développement, la "globalisation" y était perçue comme la merveilleuse émergence d'une nouvelle culture fondée sur la solidarité, le respect mutuel, le pluralisme et la participation pro-active. Certains utopistes y voyaient un potentiel unique pour résoudre les graves problèmes de l'humanité et en particulier pour réduire les écarts entre le Nord et le Sud. Grâce aux modèles de comportement des communautés virtuelles, une éthique véritable de l'échange global était apparue et portait l'espoir d'un monde meilleur. Cette "culture émergente" était caractérisée par une haute sensibilité et un grand respect pour les autres cultures (quoique la prédominance de la langue anglaise contredisait souvent cette profession de foi).

Après l'étape de transition, quand le monde des affaires commença à comprendre le potentiel des réseaux pour son efficacité, et sa capacité d'ouvrir le marché, une nouvelle vision de l'Internet s'imposait rapidement comme vecteur et amplificateur de la globalisation économique, avec les effets implicites vers l'encouragement à partager une seule langue, celle des affaires, et une seule culture, celle sous-jacente au monde des affaires.

Aujourd'hui l'Internet est un terrain où règne l'ambivalence et où des forces souvent antagonistes s'exercent. Quel est la résultante de ces forces? Quelle est la tendance? Est-ce que la première vision utopiste de l'Internet va laisser la place vide à une vision totalement dictée par l'économie globale de marché? Est-ce que les "spammers" et autres vendeurs compulsifs vont détruire définitivement la "netiquette"? Est-ce que la compagnie Microsoft va, seule, dicter sa loi et imposer ses produits comme le standard? Devrons-nous arriver au point où la standardisation des modèles de consommation nous ramène au choix unique?

La menace est réelle, très proche de nos écrans. Cependant, des possibilités sont aussi présentes pour un futur distinct où les forces systémiques et chaotiques nous conduiraient vers un monde de diversité et pluralisme maximum où la seule prévision possible est que rien n'est prévisible et tout est donc possible!

D'un côté, un nombre de plus en plus réduit d'agents hyper-puissants et organisés nous entraînent vers une culture universelle monolithique où la seule logique est celle d'acheter et de vendre et où cette logique est imprégnée par une des cultures les plus jeunes de notre histoire.

De l'autre, une mosaïque plurielle d'agents minuscules où des forces pas très organisées peuvent au sein d'un chaos créatif reconstruire notre réalité.

Quelle stratégie adopter dans ce contexte pour défendre la pluralité des langues et des cultures?

Se protéger n'est pas la bonne solution. Les effets de la protection ne peuvent être que transitoires car il est difficile d'arrêter l'information et que de toute façon le vecteur de l'agression est présent partout, et surtout dans la logique même du système! Si vous acceptez les règles du jeu économique vous avez perdu la possibilité de vous protéger. Si vous ne les acceptez pas vous êtes économiquement ... et donc finalement culturellement éliminé.

La seule réponse possible est de sensibiliser, encourager, aider, promouvoir les forces vives à participer pleinement dans les enjeux de l'information dans l'Internet. Concrètement, cela veut dire avoir plus d'utilisateurs qui ont vraiment compris les enjeux économiques, culturels, linguistiques et sociaux de l'Internet et ne confondent pas les réseaux avec une nouvelle télévision où la fausse illusion d'interactivité procurée par le "zapping" est remplacée par la fausse interactivité du "surfing". Des utilisateurs conscients et responsables qui sont aussi des agents de productions de leur propre langue et culture.


Conclusions

N'avons-nous pas pris par erreur la Tour de Babel comme le symbole de la division et d'une construction erronée de nos sociétés? N'avons-nous pas mal interprété le message biblique? Pour pouvoir construire un futur pour l'humanité il faut permettre la plus grande diversité dans nos langues et cultures, comme dans tous les autres composantes des activités humaines. Les technologies pourront nous aider par l'aide automatique à la traduction; l'intelligence devrait être motivée par les différences culturelles qui représentent la richesse de l'humanité. Cette diversité et nos différences de langues et de cultures doivent se refléter dans le monde virtuel. Chacun peut et doit rajouter son étage à la Tour virtuelle de Babel. Mais vite!




1. Les chercheurs et les communautés du développement.

2. Un endroit de libre circulation de l'information, où le partage et la solidarité avaient pris le devant sur le commerce.

3. Pour donner seulement un exemple: la pratique commerciale qui consiste à envoyer des courriels de promotion de produits ou services (en anglais "spamming") à des listes d'utilisateurs est totalement réprouvée par les gardiens de l'éthique du réseau (la "netiquette").

4. Une orientation technologique mystificatrice qui laisse de côté l'essentiel: les communautés d'utilisateurs de toutes les régions du monde qui se sont appropriées la technologie pour servir leurs ambitions de communication.

5. À ce titre la charte du réseau Bitnet et plus tard la formulation d'une "netiquette", la création du mécanisme de conférence listerv ou l'organisation des groupes de discussion Usenet ont joué un rôle bien plus important que le schéma des bits de contrôle du protocole TCP-IP.

6. Tous les protocoles offraient des fonctions similaires et le Web aurait fini par émerger sur n'importe lequel d'entre eux.

7. Qui intègrent le texte, l'image (fixe ou animée) et le son.

8. Chacun est libre de proposer un changement à l'architecture en suivant la procédure des "RFC" et des groupes ouverts discuteront des mérites et des défauts et éventuellement accepteront la suggestion ou la rejetteront.

9. Le HTML.

10. Et est remarquablement médiatisée.

11. Le Suisse Tim Berners Lee.

12. Le consortium W3.

13. Au début l'espoir était grand de voir une distribution des techniques et une production audiovisuelle décentralisée.

14. Organiser une page www est à la portée de tous. Créer son propre journal sur l'Internet ou sur multimédia est économiquement une possibilité viable.

15.AltaVista était déjà capable de recenser les termes présents dans 80% de l'espace total, 40 millions de pages web à cette date et de comptabiliser avec précision le nombre exact d'apparitions de tel mot ou tel expression.

16. Il faut lire que la probabilité que la valeur réelle soit extérieure à l'intervalle déterminée est de 90%.

17. Pour les autres langues latines nous ne disposons pas de mesure antérieure.



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