Toutes les analyses des 5 dernières années font apparaître que le domaine de l'éducation et de la formation est l'une des activités essentielles des sociétés modernes qui a le moins bénéficié de l'apport des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ce secteur est aussi celui qui profitera ou subira, suivant l'orientation des mutations imposées par la mondialisation et la compétition internationale, des évolutions en contenus, en méthodes et en moyens.
Les années 1985 à 1995 ont vu croître la place des didacticiels dans le télé-enseignement, se substituant peu à peu à l'enseignement auto-dirigé ou à l'enseignement programmé ayant recours aux supports de cours traditionnels ou audio-visuels.
Les années 1995-2000 vont transformer et élargir ce processus d'évolution, en délocalisant apprenants et formateurs, en reconstituant les supports de cours naturels d'enseignement (par exemple par le multimédia), en faisant transiter sur les réseaux de transmission de données les contenus stables et enrichis, en associant aux contenus magistraux la documentation requise, en permettant enfin, par correspondance électronique, par forum, les échanges entre enseignants, chercheurs et étudiants.
L'Université virtuelle constitue un concept fédérateur qui doit permettre de réunir les éléments éparpillés des expériences déjà menées en Francophonie en un concept à image unique représentatif des ambitions francophones. Chacune des composantes de la Francophonie scientifique qui s'exprime déjà au sein de l'AUPELF-UREF sera pleinement renforcée.
Le projet de l'AUPELF d'université virtuelle apparaît donc comme le prolongement naturel des actions établies et la consécration de sa mission essentiellement universitaire.
Ce projet possède des particularités qui le rendent unique au niveau mondial, puisqu'aussi bien, à travers le concept de communauté linguistique, il transcende les frontières géographiques et associe des universités de régions qui connaissent des niveaux de développement très différents (de la France, la Belgique et le Québec jusqu'à l'Asie francophone, l'Afrique francophone et la Caraïbe francophone).
Les idées directrices qui donnent les fondements du projet de l'AUPELF sont :
L'éducation à distance a connu une histoire déjà longue de recherche et de réalisations, partant des études par correspondance jusqu'aux systèmes soutenus par l'audiovisuel à distance (en général basés sur satellite). Les NTIC sont en train d'apporter une révolution à cette discipline et devraient lui permettre de sortir des débats d'initiés et du scepticisme des pédagogue pour la transformer en industrie globale. Tandis que la question de la qualité pédagogique de l'éducation à distance reste l'objet de nombreux débats contradictoires entre "traditionalistes" et "spécialistes", les NTIC sont en train d'apporter tous les éléments d'une véritable révolution pédagogique où les rapports enseignants-enseignés et enseignés-enseignés vont changer radicalement. Les concepts de "collaboration" et "d'enseignement asynchrone" devraient commencer à s'imposer, plus parce qu'ils sont le reflet des nécessités de l'évolution de la société, que pour des raisons purement pédagogiques. Cependant, ce changement porte les germes d'une véritable révolution pédagogique où les structures traditionnellement figées d'espace-temps-hiérarchie vont exploser. L'argument principal qui plaide pour ce changement est bien entendu économique ; il faut être conscient toutefois que les tarifs de l'enseignement à distance restent encore aujourd'hui à la hauteur de ceux de l'enseignement traditionnelle, les économies de masse permettant de rentabiliser un investissement initial supérieur, à tous points de vue, à celui de l'enseignement traditionnel, n'étant pas encore atteintes. Cela changera radicalement dans la phase de massification de cette technologie, qui pourrait intervenir après une période de transition de quelques années.
Il reste bien entendu de nombreux challenges à affronter :
Les ingrédients de la réussite :
Pour reprendre le concept pédagogique de l'ITESM (Instituto technologico y de estudios superiores de Monterey, Mexique), l'université virtuelle se trouve à l'intersection de trois espaces :
Dans l'espace des possibilités, nous pouvons distinguer une révolution économique démocratisante de l'éducation et la tendance à la disparition de la segmentation des formes d'éducation (primaire, secondaire, universitaire, pour adultes, professionnelle, finalement continue).
Dans l'espace des technologies, les NTIC occupent une place au sommet de la hiérarchie, mais il est bon de comprendre que si ces technologies ne sont pas appliquées avec les pédagogies appropriées, elles n'apporteront rien d'autre à l'éducation que confusion et erreur d'objectifs. Par contre, si elles sont maîtrisées, le changement de paradigme qui les accompagne permettra une véritable révolution pédagogique marquée en premier lieu par l'abandon de la forme verticale de formation (transfert vertical de connaissances) au profit d'une forme en anneau où l'enseignant se transforme en facilitateur d'un processus centré sur l'enseigné et sa capacité de découvrir les connaissances à son propre rythme et en collaboration avec les autres enseignés et les facilitateurs. En deuxième lieu, cette nouvelle forme de pédagogie va libérer les contraintes d'espace et de temps, grâce à un mode de fonctionnement asynchrone. En perdant sa verticalité, l'apprentissage devient un processus de collaboration et de partenariats entre différents groupes.
L'espace des pédagogies est en pleine transformation. Certains apports récents ont été disqualifiés, d'une certaine manière, par les changements technologiques et une révision des concepts entre moyens et objectifs est en cours. Le grand défi est de concevoir une nouvelle pédagogie qui s'appuie sur les moyens technologiques et les transcende, sans pour autant prendre un point de vue de technologue ou de mythification des technologies. Le défi apparaît moins contradictoire quand les aspects sociologiques qui accompagnent la révolution technologique sont mis en avant.
Cette discipline, après plusieurs années de progrès lents et difficiles, est rentrée dans une phase de « poussée technologique » (technology push) qui pourrait rentrer en maturité dans moins de 2 ans et permettre une nouvelle phase de « conduite de marché global » (global market driven) qui verra dans moins de 5 ans accroître significativement les parts de marché. Nous sommes par analogie dans la situation dans laquelle se trouvait le phénomène Internet en 1992, dans une période de transition de 2/3 ans qui sera suivie par une période de forte expansion.
Les trois éléments clefs de la « poussée technologique» sont :
Ensuite, sur les bases obtenues, le marché commencera à orienter les choix dans plusieurs directions non nécessairement cohérentes :
Le projet francophone est unique en son genre et aucune des réalisations étudiées peut raisonnablement servir de modèle complet. La vitesse de la technologie joue un rôle perturbateur dans tous les efforts traditionnels d'éducation à distance et le véritable défi, qu'aucun projet n'a pu surmonter complètement, est de concilier l'avance technologique avec une vision où la technologie s'efface devant les critères pédagogiques.
La vitesse des changements dans ce domaine plaide pour une implantation progressive, étant donné l'importance de l'apprentissage, mais immédiate, étant donné l'importance des enjeux économiques, sociaux, culturels et linguistiques.
Avec le www et les multimédia interactif, il est possible que les avances technologiques commencent à s'inscrire dans un référentiel plus stable (et économiquement plus accessible) et qu'il soit possible de concentrer les efforts dans quatre directions :
L'université virtuelle francophone, étant donné la nature même du concept, ne peut se concevoir comme un autre projet d'université virtuelle mais plutôt comme un méta projet, une sorte de "méta-université virtuelle francophone" qui pourrait, selon les moyens disponibles et les options stratégiques définies, apporter du soutien aux universités francophones existantes :
En plus d'une gestion optimale de l'équation moyens/objectifs, les défis principaux du projet francophone sont:
Les contours du projet d'Université virtuelle francophone
On perçoit l'imminence de changements de paradigmes dans le domaine de l'information et du savoir, de nouvelles interactions deviennent visibles dans la mondialisation de l'information et du savoir, ce qui est communément appelé société globale de l'information dépasse largement le concept d'information y englobant la communication, le savoir et la connaissance. Joël de Rosnay développe le concept d'articulation de différents chaînons qui ne sont pas nouveaux séparément mais dont les interactions risquent à terme de modifier les différentes cultures mondiales. Selon le cas elles s'en trouverons renforcées ou diminuées.
L'information véhicule du savoir lui même interagissant avec la connaissance pour aboutir à une modification du champ culturel.
Les indices d'un changement de paradigme pour l'éducation sont détectables. L'éducation passe par trois modèles successifs :
| MODELE | CENTRAGE | ROLE DE L'ETUDIANT | TECHNOLOGIE |
|---|---|---|---|
| Traditionnel | Professeur | passif | Tableau/TV |
| Information | Etudiant | actif | PC |
| Connaissance | Groupe | adaptatif | PC + réseau |
et les conditions sont maintenant mûres pour un modèle basé sur la connaissance.
Les technologies (principalement les NTIC) jouent un rôle clef dans ce changement de paradigme.
Les facteurs clefs du changement de paradigme sont les suivants :| FACTEUR | EVOLUTION |
|---|---|
| Temps | Le facteur temps ne va plus être une contrainte, l'enseignement asynchrone libère l'étudiant des impératifs de temps. |
| Espace | Le facteur distance ne va plus être une contrainte, l'étudiant peut participer à l'enseignement sans avoir besoin d'être présent dans l'espace physique universitaire. |
| Coût | L'investissement pédagogique pour l'enseignement à distance moderne est certainement plus important que celui du modèle traditionnel, que cela soit l'investissement initial ou celui lié à la livraison de l'enseignement. Mais deux facteurs vont diminuer le coût global dans des facteurs d'échelle : 1) la réduction des besoins en surfaces et locaux, 2) l'augmentation sensible de la taille de la classe virtuelle. |
| Relations | La relation traditionnellement verticale entre enseignants et enseignés va évoluer vers un modèle plus horizontal où l'enseignant se transforme en facilitateur, expert, collègue et où l'apprenant devient naturellement actif. Dans cette évolution des rôles, le groupe prend de l'importance en tant qu'espace de consultation, concertation et collaboration. Par ce mécanisme, l'enseignement est "reçu" par l'individu dans l'interaction avec un groupe où les enseignants ne sont qu'un des éléments. Il s'agit d'une redéfinition complète des rôles, où le dynamisme des rôles exige un étudiant adaptatif. |
| Information/connaissance | Le transfert de connaissances n'est plus l'objet premier de l'éducation, l'enseigné doit apprendre à acquérir de l'information, au fur et à mesure de ses besoins, l'évaluer et la transformer en connaissance à travers le processus relationnel. |
| Marché | En libérant les facteurs espace et temps, l'éducation s'ouvre au marché global où la langue va devenir une des contraintes principales de l'expansion. |
| ConcurrenceCollaboration | La globalisation du marché de l'éducation et l'apparition d'entités nouvelles, placées délibérément dans l'espace commercial, va intensifier la concurrence entre les entreprises de l'éducation. Parallèlement, la collaboration et les alliances stratégiques vont s'imposer comme les réponses adaptées aux changements de la part des universités. |
| Evaluation | Les concepts traditionnels d'évaluation des enseignés sur la base de résultats (examen) devront s'adapter à des méthodes nouvelles où l'évaluation du processus prendra une plus grande importance, permettant ainsi d'échapper à la mesure des connaissances assimilées et d'intégrer des facteurs plus sensibles à l'équation du nouveau professionnel : capacité de recherche, d'adaptation, de communication, de collaboration... |
| Type | La distinction des types d'éducation (primaire, secondaire, technique, universitaire, professionnelle) va perdre de l'importance au profit d'un enseignement continu. |
Dans cette évolution, la distinction entre éducation "présentielle" et à distance s'estompera et les concepts exposés s'appliqueront également aux formes "locales" d'enseignement.
L'arrivée de ce nouveau paradigme dans les années à venir pose la question de la préparation du corps enseignant à ces changements radicaux. L'enseignement à distance par architecture est beaucoup plus exigeant sur la capacité de l'enseignant. Le "nouvel enseignant" devra maîtriser ce nouvel environnement des NTIC, être prêt psychologiquement pour un changement radical de rôle, tout en renforçant et actualisant son savoir dans la discipline.
| Un apprentissage approprié des NTIC, qui fournirait une vision intégrale de la discipline avec l'accent sur "la culture de l'information" est un élément clef dans le succès de la préparation des enseignants. |
Il permetta d'accompagner l'aspect psychologique et de fournir les moyens de sécuriser l'enseignant en ce qui concerne son actualisation (soit parce qu'il pourra utiliser l'outil pour ce faire, soit plus simplement parce qu'une meilleure conscience de la pléthore et de l'obsolescence des connaissances diminuera son appréhension).
Comme nous avons pu l'observer dans le cadre de notre recherche d'information, le nouvel enseignant sort de l'isolement de la classe et reçoit un soutien logistique important qu'il lui appartient de savoir coordonner et utiliser : pour l'audiovisuel comme pour le www, des spécialistes de la production doivent être à sa disposition pour qu'il puisse obtenir un résultat de qualité quant à la forme et se concentrer sur le fond, c'est-à-dire sur le contenu pédagogique.
| La prise de conscience de la part des responsables universitaires de la nécessité d'apporter un ensemble de fonctions de soutien aux enseignants est un élément clef dans le succès de la production de l'enseignement. |
En ce qui concerne le déroulement optimal de la classe virtuelle et l'émergence du travail d'apprentissage en groupe, qui représente le foyer créatif de la nouvelle modalité, la gestion de la communauté virtuelle reliant les enseignants et enseignés est l'élément critique. Notre approche des expériences menées révèle une sérieuse sous-estimation de cet aspect ayant pour conséquence de graves perturbations dans le processus. Pourtant, c'est un des éléments les moins importants au niveau de l'équation économique.
| Il convient d'apporter une attention extrême aux méthodes, procédures et logiciels qui vont sous tendre la communication de groupe. Plus que n'importe quel autre élément logistique, cet élément est la clef dans le succès de la dynamique de la classe virtuelle alors qu'il représente un des investissements les moins importants. |
La production de multimédias interactifs comme outils individuels d'apprentissage complémentaires aux outils basés sur le réseau semble pour le moment réservée à des entreprises et les universités à distance s'y appliquent avec lenteur. Il n'y a pourtant pas de raison économique fondamentale à cela. L'observation de sites éducatifs basé sur www avec d'excellents modèles graphiques mais avec des délais de réponse tout à fait excessifs pour servir d'outil éducatif plaide en faveur de la production de DOC MEF (cédéroms) interactifs.
| Il convient d'insérer le multimédia interactif dans la panoplie d'outils éducatifs, en fournissant le soutien de production approprié. Une tactique possible, quand l'investissement de production est au dessus des possibilités, est de stocker des sites complets www sur multimédia pour consultation individuelle. |
Dans ce contexte international, avec l'expérience du Québec et la qualité universitaire française, la francophonie scientifique a une carte à jouer et un rôle à occuper.
Une alliance stratégique latine (français, espagnol, portugais, italien) pour l'éducation à distance serait certainement un événement majeur très prometteur sur les plans culturels, linguistiques, économiques et géopolitiques. Peut-être faut-il d'abord que chaque zone linguistique arrive à un point de maturité suffisant pour envisager une alliance de ce type ? Il serait dommage, en tous cas, que l'Europe latine perde aussi cette opportunité de faire masse ou attende trop pour se décider.
Un projet francophone pour l'éducation supérieure à distance est à la fois justifié, nécessaire et urgent. La tâche à accomplir est immense et il importe de bien connaître la taille des investissements possibles pour orienter l'activité de l'AUPELF-UREF.
Quelle que soit l'orientation, il s'agirait d'un méta-projet d'université virtuelle qui devrait avoir une force de catalyse et d'entraînement sur les établissements-membres de l'AUPELF-UREF et qui pourrait, si les moyens le lui permettent, servir de facilitateur à l'ensemble du groupe.